• Misère

     

        
     

     

     

     

    Alors ! Raconte !  N° 68

     

                                                         Misère.

     

     

     

              C’est une histoire vraie qui s’est passée dans la Caroux,  cette montagne  qui garde jalousement dans le défilé d’Eric la légende de Cébéna, notre muse régionale. En ce moment ci, notre muse a revêtu sa robe de mariée pleine de neige. Elle est si belle !

     

              C’est l’histoire d’un forgeron qui était surnommé  Misère. Il y a deux cents ans, dans un petit hameau  de notre pays d’Oc qui s’appelle  Cazabelba, vivait donc, ce forgeron très pauvre qui avait sept enfants qu’il devait élever et nourrir. Les temps étaient très durs. La vie était très chère à gagner. Malgré les circonstances, notre homme était toujours joyeux et ne se plaignait jamais de son sort mais il jouait toujours de malchance. Lorsqu’il arrivait une calamité, notre forgeron était toujours la première victime. Un orage arrivait dans son pays, c’était sur son toit que tombait la foudre. Un gel arrivait sur les terres, c’était sa vigne  près de la rivière qui était touchée. Et pour lui les vendanges étaient déjà faites.

     

               Comme dit le proverbe ‘’ il pleut toujours sur ceux qui sont déjà mouillés’’.

     

               Aussi, il reçut des gens du pays le surnom de ‘’Misère’’parce que sa vie n’était faite que de malheurs mais avec courage, il résistait à toutes les calamités qui lui tombaient sur la tête. Il vivait grâce à quelques petits travaux à sa forge, à sa vigne et son jardin qu’il travaillait lorsqu’ils n’étaient pas gelés ou inondés par la rivière en crue. Le petit vin que lui donnait sa vigne le rendait tout de même joyeux le dimanche et lors des fêtes dans le village voisin. Mais l’imprévu le guettait à tout moment.

     

               Ces enfants étaient souvent malades, grippe, scarlatine, bras cassés, il dépensait presque  tout son argent chez l’apothicaire.  Mais notre homme avait la tête bien vissée sur ses épaules. Il avait une chose très importante, celle que l’on ne voit souvent pas, la richesse du cœur. Il était toujours charitable  et prêt à rendre des services aux autres. Il donnait à des gens plus malheureux que lui. Le peu qui se trouvait sur sa table était pour le mendiant qui sonnait à sa porte. Il donnait un coup de main lors de la fenaison pour un simple merci laissant enclume et marteau dans ce coin rempli de radins. La charité va souvent à l’encontre de la richesse.

     

               Un jour de printemps, il tapait un fer rouge sur son enclume. Il chantait en ce matin ensoleillé. Le chant joyeux des oiseaux dans la campagne était rythmé par les coups de marteau qu’il donnait sur son enclume. Il dirigeait en main de maitre l’accompagnement de cet agréable concert. Passant la tête par le ‘’fenestron’’ de sa forge, il aperçoit deux hommes misérablement vêtus, tirant et poussant une bête famélique  de grand âge. Cet animal avait les côtes si amaigries qu’on aurait dit un cerclage de barrique. Cette ânesse trimait, portant une  lourde charge sur le  long chemin de la vie. Elle boitait d’une patte de derrière, ce qui  donnait à sa démarche une allure fantomatique. Les deux hommes ne valaient pas plus que la bête. L’un avec sa barbe blanche imposait le respect. Ses vêtements étaient des haillons fanés et rapiécés. L’autre, plus jeune mais pâle comme un mort avait un beau sourire  et exprimait la bonté. Ils faisaient partie de la catégorie des résignés et des bonnes âmes aussi. Les deux traine- savates arrivaient devant la porte de Misère qui joyeux, faisait jaillir du fer rouge des myriades d’étincelles brillantes comme des étoiles.

     

                 Le plus vieux des voyageurs  salua le forgeron qui cessa de battre le fer. Il lui demanda  s’il pouvait ferrer son ânesse qui boitait. Misère partit au font de sa forge chercher un petit fer qu’il gardait accroché à une poutre. La patte arrière de l’ânesse soulevée, le forgeron vit qu’après un petit réglage que le fer pouvait aller. Misère riait en pensant au service qu’il rendait à ces deux pauvres bougres. En un rien de temps, Misère avait placé le fer sur le sabot de l’animal. Le tout était fort bien ajusté. Nos deux hommes pouvaient partir sans crainte et demandèrent combien ils lui devaient. ‘’ Pour cette fois, c’est gratuit !’’ dit Misère. Cette offre leur faisait énormément plaisir. De plus, Misère leur proposa le gite et le couvert et pourtant, il n’était pas riche.

     

                 Emus par tant de probité et de générosité, nos deux voyageurs voulurent lui faire un cadeau. Le plus jeune au sourire si doux lui dit : ‘’J’ai un grand pouvoir et je peux réaliser tous tes désirs et je veillerai à ce qu’ils soient tous exaucés !’’  Le plus vieux à la barbe blanche lui susurra à voix basse ‘’ Demande le ciel ! ‘’, Mais Misère, incrédule préférait vivre plus agréablement son existence sur terre. Ces deux voyageurs n’étaient  autres que l’incarnation du Christ et de son disciple Saint Pierre.

     

                    J’ai trois vœux à formuler dit le forgeron : ‘’ Je demande que celui qui touchera le soufflet de ma forge ne puisse s’en détacher sans mon ordre ! Je demande aussi que celui qui s’assoira sur ma chaise dans la cuisine ne puisse s’en relever qu’avec mon autorisation !’’ Le papet à la barbe blanche lui dit’’ Pour le dernier vœu, songe à ton éternité “ demande le ciel pour le salut de ton âme !’’ Mais Misère préféra : ‘’ que celui qui montera sur mon poirier ne puisse en descendre !’’

     

                A partir de ce jour, Misère ne connut plus de malheurs. Il était béni du ciel. Vieillissant tous les jours, le forgeron de plus en plus courbé approchait ses quatre vingt ans.

     

                Mais un jour, la mort avec sa grande faux lui rendit visite dans sa forge. ‘’Il est l’heure de quitter ta famille, ton verger, ta maison. Je viens te chercher !’’ Je  suis  à toi mais encore une minute, je voudrai finir le travail que j’ai commencé sur ma forge. Donne mois un coup de main ! Prends la poignée du soufflet et active le feu ‘’ demanda t’-il à la grande faucheuse d’hommes. Le malicieux Misère savait très bien que la mort ne pouvait plus se détacher de  la poignée sans son autorisation. Le squelette restait accroché et ne pouvait partir. ‘’ Je te laisserai partir à condition que tu ne reviennes  que dans dix ans !’’ dit le forgeron. Après son accord, il lui fit le signe de déguerpir. Allez ! Ouste !

     

                Les dix ans passèrent trop rapidement et le jour de ses quatre vingt dix ans, il entendit frapper à sa porte. ‘’Es tu prêt à me suivre !’’ lui demanda la mort très méfiante. ‘’ Je suis très vieux maintenant ! Es-tu prête à prendre avec moi une petite goutte !’’. Il  invita la mort à s’assoir  sur l’unique chaise de la cuisine. Bien sur, le piège se referma et le squelette ne put lever son derrière de la chaise. Misère riait dans sa moustache après avoir bu son verre de fine. ‘’ Je reviendrai dans deux ans si tu me libères ! Profites bien de ce sursis ! Aussitôt fait, la mort partit accomplir d’autres macabres besognes, se promettant de ne plus se faire prendre à l’avenir.

     

                   Les deux années passèrent  encore plus rapidement et un jour la mort revint chez lui lorsqu’il fêtait ses quatre vingt douze ans. A ce moment là, Misère était sous son poirier où de belles poires mordorées brillaient au soleil. Malgré sa méfiance, la mort ne résista pas lorsque le forgeron l’invita à monter dans l’arbre. Lestement, remontant son cotillon noir, elle cueillit un beau fruit bien mûr. Encore une fois, Misère riait dans sa moustache lorsqu’il vit la mort perchée dans son poirier comme un merle pris dans de la glue.

     

                    ‘’ Misère ! Tu peux te venter d’avoir trompé la mort trois fois’’, dit la mort.

     

                    ‘’ Tu resteras perchée là haut jusqu’à la fin des siècles’’, dit Misère.

     

                    ‘’ Je te promets de ne plus venir te chercher, libère moi de ton sort !’’ répliqua la mort et d’un pied leste elle sauta du poirier et partit jurant un jour qu’elle tirerait parti de cet affront.

     

                     Les années que vécu Misère se déroulèrent très lentes car elles n’étaient plus comptées. Et de nos jours, des promeneurs l’auraient aperçu, errant au milieu des mouflons dans le Caroux. Il doit avoir maintenant 230 ans. Tout ridé avec sa barbe blanche, métamorphose due à tout ce qu’il a vu, guerres, épidémies, calamités climatiques et toutes les révolutions, avoir vécu les disparitions de sa femme et celles de ses enfants et même de son hameau envahi par la végétation, Misère désire disparaitre de ce monde. Il appelle la mort en la suppliant même à genou. Il aurait du écouter St Pierre qui lui avait susurré à l’oreille ‘’Demande le ciel ! Demande le ciel Bon Dieu.’’

     

                      Et maintenant, il doit attendre la fin du monde.

     

                       Si un jour, vous allez cueillir des champignons dans le Caroux, vous risquez de le rencontrer et surtout ne lui parlez pas de la vie.

     

     

     

                      Cette légende empreinte de vérité a été racontée maintes fois lors des veillées d’hiver au coin de la cheminée dans les fermes des hauts cantons.

     

    JC D’Oc

     


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