Alors ! Raconte ! N° 56
Au pays des têtes plates.
Dans ce pays, à quelques pas de chez nous, au 19ième siècle, les hivers, périodes de froid, de pluie et de neige, les hommes étaient léthargiques et aussi inactifs que des marmottes. Tous les soirs, dans les villages, les Audois se rassemblaient autour de la forge du maréchal-ferrant. Ils auraient pu à la morte saison fabriquer des pipes comme dans le Jura, des sandales en corde comme dans les Basses Pyrénées ou des gants comme à Millau. Non ! Ils taillaient des petites bavettes chez le charron. Les femmes de ce pays, ont tout essayé pour que leurs hommes s’occupent utilement pendant une période donnée. Elles essayèrent de les initier au travail du bois, du buis, de l’alimentation. Rien ne les captivait et ils continuaient à faire la cour au charron. Pourtant c’est de là que naquit dans l’Aude, il faut enfin le dire, le travail du cloutier vers 1830.
De la Toussaint au printemps, les familles faisaient des ‘’boutiques à clous’’ dans la vallée de la Barguillère. Ainsi 16 ateliers produisaient 1600 quintaux de clous par saison. En 1840, 275 ouvriers travaillaient dans 60 ateliers. Leur production était entreposée dans le Magasin général des fers et clous à Foix.
Le travail du cloutier était d’un faible rendement surtout que les journées étaient longues. Dès quatre heures, l’artisan se rend à l’atelier. Le premier arrivé allume le feu de la forge et active l’arrivée de l’air. En effet, le soufflet de la forge était actionné par une roue à aubes plongeant dans un ruisseau voisin ou parfois par un chien qui trottinait dans une grande roue à gouttières. Bientôt par tous les chemins arrivent dans la nuit noire, les hommes que les femmes ont vite fait de virer de leur lit pour commencer un dur labeur. Adieu la belle vie ! Ils échangent leurs sabots qu’ils avaient fabriqués eux-mêmes contre des sandales, ôtent leur veste et passent leur tablier de cuir. Leur premier travail est de préparer leur brûlot à la lueur des braises rougissantes du foyer. Bientôt, dans les villages, on n’entendra plus les cloches mais les résonances que font les marteaux sur les enclumes. A huit heures, les tiges de métal sont retirées du foyer. Chaque ouvrier vient prendre sa tige rougie, la tape pour faire tomber les scories et commence la confection de clous en aplatissant la tête de la tige et en appointant l’extrémité.
La tête plate du clou ne vous rappelle-t-elle pas quelque chose ? C’est le qualificatif que se donnent les gens de l’Aude. ‘’ Les Têtes plates’’. C’est de là que vient son origine.
Le soir, vers 20 heures, les ouvriers emportent leurs clous – les ‘’ guinhassons’’ (clous à, souliers) – les ‘’ferradons’’ (clous à ferrer) et les ‘’gabarras’’ (clous à planches), de 1000 à 1200 dans un panier d’osier qu’ils ont eux-mêmes confectionné à la veillée.
Le samedi, le cloutier quitte son travail à midi et rapporte tous les clous de la semaine. Le patron les pèse, compte et paie l’ouvrier. (Paye de 2 à 5 francs par semaine) – de là l’expression ‘’ Travailler pour des clous !’’. Le lendemain le ‘’claveton’’ part faire du porte à porte pour vendre ses clous.
Le travail des cloutiers se termine au printemps où ils retrouvent leurs champs dans la Montagne Noire.
A partir de 1850, les agriculteurs, les petits industriels, les richissimes meuniers se lancent dans le commerce de la glace. Le premier patron glacier est Hector Piquemalle, limonadier à Pradelle Cabardès. Un jour d’été, il revient chez lui, sifflotant et le cœur gai. Devant ses amis et sa famille, il sort une bourse de cuir noir pleine à craquer. Il jette 40 pièces d’or sur la table. Cette histoire restera longtemps gravée dans les têtes à Pradelle Cabardès. C’est le début de l’industrie frigorifique. Il vient d’inventer l’activité de la distribution du froid.
Il suffit de construire des glacières en maçonnerie sur des terrains en pente et à proximité des prés pour éviter toute souillure et de les remplir de neige l’hiver. Même de nos jours, on peut admirer au col de la Prade au hameau de Jouys, de vastes puits de 8 à 12 mètres de diamètre et d’une profondeur de 10 à 12m. Une margelle de 0,75m entoure le puits qui est surmonté d’une toiture à deux plans inclinés.
En hiver, la population du village était occupée à ramasser et à acheminer sur des charrettes les blocs de neige jusqu’à la glacière. Les hommes tassaient la neige avec leurs sabots ou avec leur grosse massue de frêne. Pour finir, une couche de feuilles de hêtre ramassées en automne protégeait la neige de l’air. Il suffisait d’attendre les premières chaleurs pour confectionner des cylindres de glace de 40cm de diamètre et d’un mètre de longueur et de les descendre vers le pays bas (Minervois – Narbonnais – Carcassonnais). Chaque cylindre de glace démoulé était enveloppé dans de la toile tapissée de feuilles de hêtre puis chargé sur une charrette couverte d’une bâche. Chaque charrette pouvait transporter entre 60 et 80 balles. Les rouliers partaient de nuit vers la vallée de l’Aude et livraient soit à domicile les cafetiers, les bouchers, les traiteurs, soit ils envoyaient par trains des blocs de glace de plus de cent kilos vers Toulouse, Montauban et Bordeaux.
En 1885, la réussite est totale à Pradelle Cabardès qui verra construire 15 magasins et 32 puits. Plus tard, on améliorera la conservation de la glace dans des bacs isothermes et l’or blanc de la Montagne Noire sera apprécié dans les verres d’absinthe que nos aïeux buvaient dans les ‘’assommoirs’’ si bien décrits par Emile Zola, pour oublier la dureté de leur vie.
Cependant, aucune de ces entreprises ne passera le cap de la fin du siècle ou celui de la première guerre mondiale.
Enfin, il est un artisan dont la position dans le village est envieuse en 1850, c’est le meunier. Il s’est enrichi rapidement et il appartient à la classe aisée et respectée. Chaque village possède son moulin, soit à eau, soit à vent et dans la vallée de l’Aude, il y avait environ 50 moulins à farine qui étaient continuellement occupés pour les besoins de la population mais aussi pour le commerce du minot (ancien nom de la farine) qui se faisait avec l’Espagne toute proche. Les Espagnols payaient la farine en monnaie d’or si bien que Limoux devint une des villes les plus riches du Languedoc. Quand la cavalcade qui perdure depuis le Moyen Age traversait la ville de Limoux, la corporation des meuniers était la plus représentée. C’était le moment de montrer sa richesse et sa générosité. La jour du Mardi Gras, les meuniers payaient leur redevance en écus d'or au monastère de Prouille. Les plus jeunes coiffés d'un bonnet et tout de blanc vêtus sur leurs chevaux noirs lançaient de la farine vers les badauds en signe de satisfaction professionnelle de réussite et des dragées galamment vers toutes les dames.
Mais le petit paysan qui n’occupe pas une place de choix a le sentiment d’être volé car le meunier perçoit ‘’la punhéra’’, mesure qui représente le cinquième de la farine produite. On changea plusieurs fois le meunier mais il y eut toujours un voleur au moulin.
Dans les dernières années du 19ième siècle, la meunerie périclite au profit des minoteries naissantes.
Voici par ces trois récits chez les ‘’Têtes plates’’ l’histoire d’une population qui va connaître dans le siècle suivant une forte mutation. Beaucoup de petits paysans vont disparaître au profit des villes. Les petits fils du cloutier, du brasseur, du meunier vont devenir des fonctionnaires et attendront sans s’en faire, que la retraite arrive.
JC d’Oc.