Alors ! Raconte ! N° 69
Les paillasses de Cournonterral.
Il ne faut pas confondre les pététas de Murviel les Béziers qui regardent passer les voitures devant les portes durant les mois de juillet et d’août à la grande curiosité des touristes de passage avec les paillasses de Cournonterral. Toutes deux sont néanmoins bourrées de paille.
C’est un grand carnaval qui a lieu le mercredi des Cendres à Cournonterral, village de 5070 âmes, tout près de Pignan et de Montpellier. En 2010, cette fête a eu lieu le 17 février et l’an prochain elle aura lieu le 8 mars. Seuls, les habitants du village ont le droit d’y participer. On ferme les portes à tous les étrangers et gare si un intrus se risque dans la commune. Il sera sévèrement puni par le châtiment de la comporte pleine d’un liquide vineux et visqueux qu’est le dépôt des particules du vin dans les cuves de fermentation.
Pour préparer toutes ces festivités, des camions citernes vont récupérer la lie dans différentes coopératives vinicoles pour la déverser dans les rues du village. De plus pour donner une odeur désagréable à cette fête, les gens de Cournonterral vont vider leurs ‘’pissadous’’ et ce qui suit dans ce mélange vineux. Ce jour là, il y a 10cm de lie rouge nauséabonde sur les pavés. C’est la ‘’capounade *’’ du village.
Un peu d’histoire car ce rituel remonte à l’Antiquité. Très proche du carnaval, il ne dure que quelques heures. Ce rite n’a été interrompu que pendant les deux guerres mondiales. Ce n’est pas une foire ou un carnaval où tout le monde se déguise ; c’est une tradition qui a retrouvé un nouveau souffle et qui remonte à 1346 avec ses règles très dures et ses codes. Depuis des siècles, la tradition que nous ont transmis les anciens se perpétue et est toujours actualisée par les jeunes. Il faut protéger les paillasses comme les traditions conservent nos racines. Le mercredi des Cendres, donc le lendemain du carnaval, Cournonterral est fermé aux touristes ‘’No télés ! no photos ! no invités’’. Seuls, les participants sont de Cournonterralais qui sont garants du strict respect et du bon déroulement de cette vieille tradition.
Depuis des temps, les habitants de Cournonterral s'attribuait le droit de couper dans les forêts seigneuriales d’Aumélas, village voisin, le bois nécessaire pour leurs charpentes, les piquets de vigne ainsi que pour leur chauffage. Petit à petit, le Causse d’Aumélas était déboisé au grand dam de leurs villageois. De plus, ils ramassaient des champignons et des truffes qui abondaient. Une haine féroce régnait entre les deux villages. Et un beau jour, les Aumélassiens, excédés, tendirent une embuscade aux pilleurs à coups de pierres et de fléchettes. Humiliés, les ramasseurs de bois se retirèrent dans leur village après la trempe qu’ils avaient reçue. Encouragés par leur victoire, les gens d’Aumelas se sont rués le lendemain sur le château de Cournonterral mais, repoussés par la garnison du château, ils retournèrent dans leur village en jurant qu’ils tueraient tous ceux qui viendraient voler leur bois. A Cournonterral, les consuls et le seigneur du château se sont émus et ont demandé à un certain Paillasse de trouver une solution non guerrière au conflit. Paillasse proposa de fabriquer en nombre une sorte d’épouvantail humain, un monstre empaillé le plus laid possible qui pourrait faire peur aux voisins. Ce qui fut fait par la présentation d’un défilé de mode, plus exactement d'horreurs. Une battue fut organisée par le consul avec une escouade de 90 hommes déguisés sous les ordres du capitaine Paillasse. L’aspect volumineux de ces soldats d’opérette bourrés de paille, dans leur sac de patates, leur tête coiffée d’un bonnet pointu, le visage maquillé au charbon de bois était très impressionnant et faisait très peur. Cette petite armée se mit en route au petit matin pour surprendre au détour d’un chemin leurs voisins les Aumélassiens. Les paillasses se mirent à hurler comme des loups. La surprise fut totale. Pris de panique, les Aumélassiens s’enfuirent en tous sens. Certains furent faits prisonniers et, au moment de leur libération, ils durent jurer de ne plus attaquer les Cournonterralais. L’officier Paillasse et ses guerriers reçurent les plus chaleureuses félicitations par les gens du village.
Et c’est ainsi qu’il fut décidé en commémoration de ce fait d’armes qu’une manifestation aurait lieu tous les ans le mercredi des Cendres. Aux coins des rues des barriques de vin furent placées pour que tous les villageois puissent festoyer pour fêter cette victoire. Ce fut une telle orgie dans le village que les gardes tellement soûls se roulèrent dans la vinasse qui coulait à terre, s’aspergèrent la tête de vin comme font actuellement les bodégaïres lors de la féria, de la soulinque ou de la fête du vin nouveau.
C’est depuis ce temps que le nom de ‘’paillasse’’ est voué à la postérité en souvenir de celui à qui l’on doit ce haut fait d’armes avec l’idée de transformer ces braves gens en monstres diaboliques pour faire peur aux autres.
Cette tradition, transmise de générations en générations lors du mercredi des Cendres permet aux Cournonterralais de se retrouver ensemble. Les paillasses affrontent les’’ blancs’’ pendant 3 heures seulement. Le jeu consiste à salir tous les ‘’blancs’’ en les roulant dans la lie déversée le matin même dans les rues. Ils finissent bénis, la tête la première, dans une comporte sacrée remplie de ce liquide gluant.
Cette journée se termine par un bal populaire où les paillasses et les ’’blancs’’ désormais de la même couleur rouge dansent à partir de 18 heures sur la place du village.
JC d’Oc.