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Le faux monnayeur de Villespassans
Alors! Raconte! N° 142
Le faux monnayeur de Villespassans .
Conter c'est passer de l'écrit à l'oral et vice versa, c'est dire avec lenteur cette infime partie de la mémoire que l'on veut faire découvrir aux autres.
J'aime raconter les histoires que j'ai retrouvées dans un vieux livre, remonter le temps dans des pages célèbres, c'est un prétexte au voyage dans le présent ou dans le temps, j'aime ma terre languedocienne, les vieux châteaux bouffés par les ronces ou par le lierre, les donjons demi écroulés encore ensoleillés le soir tombé. J'aime sa géologie qui nourrit et donne ce vin nectar des dieux.
J'aime mettre quelques mots au service d'un personnage qui ne sera jamais réincarné. C'est l'hommage que je porte dans ces lignes à ....
Dans ce petit village qui marque la transition entre plaine et garrigues du Pardailhan Villespassans possède un "castrum", petite agglomération fortifiée, mentionné dès 1180. En 1590, le village subit le siège lors des guerres de religion suite à la rivalité entre le duc de Joyeuse et Montmorency.
L'église dédiée à Notre Dame de l'Assomption conserve à l'intérieur les traces d'une première construction datée vraisemblablement du Xème siècle. L' abside était fortifiée et le chœur était adossé aux remparts. Le clocher détruit a été réhabilité en 1857 et l'église agrandie en 1859.
Les ruelles au tracé sinueux du centre ancien abritent encore quelques belles maisons médiévales. Les textes du XVIIIème siècle attestent de l'existence et la pratique d'activités pastorales notamment de l'élevage de chèvres. La vigne a remplacé progressivement la culture du seigle et de l'avoine. En 1910 les productions de Villespassans étaient la vigne et ... les truffes noires.
Ce village était entouré de murailles et les seigneurs au Moyen Age percevaient un droit de péage pour les voyageurs qui passaient. D'où l'origine de son nom Villespassans ( Vilespassens en occitan : Villas passans 1159 signifiant Villas= domaine et de passans = passagers, vagabonds, le passage).
Les maîtres du château furent plusieurs fois mêlés à l'histoire régionale dont la chronique judiciaire de mars 1712 fait écho. Le seigneur Joseph Marie Douzon de Cabrerolles de Villespassans, qui possède le château est l'héritier de nobles magistrats. Son grand père était juge à Béziers, son père était conseiller à la Chambre du Parlement de Toulouse, sa mère était la fille du Président du Parlement de Toulouse. Donc son avenir était tout tracé vers la magistrature. Il deviendra Grand Chambrier, organe le plus prestigieux de la cour de Toulouse. Avec des complices, il cherchait des moyens pour s'enrichir. Faire de la fausse monnaie, transformer des anciennes pièces sans valeur en de nouvelles et les diffuser dans le royaume, rien ne pouvait arrêter ce magistrat toulousain qui ne pensait jamais être découvert vu son statut de privilégié . Il fit battre monnaie par de petites mains, des forgerons, des fondeurs et acheta des mortiers, des fourneaux, des barres de laiton, des crochets et des pierres de mine. Une bande fut constituée autour du chef J.M de Villespassans qui les protégea pour écouler la production de pièces contrefaites.
Mais en mars 1712, ses complices le dénoncèrent. Il fut arrêté alors qu'il tentait de fuir. Villespassans fut emprisonné à la citadelle de Montpellier . Son jugement par la Grande Chambre du Parlement de Toulouse, après enquête, ne pouvait être fait par la cour dans laquelle sa famille était largement influente. A Toulouse des témoins à charge sont déboutés d'autres influencés reviennent sur leurs témoignages. Seuls les complices sont condamnés à la pendaison avec leur corps brulé. D'autres sont envoyés aux galères.
Au final, J.M de Villespassans pour preuve insuffisante est relaxé, son honneur est sauf mais il est interdit pour toujours des fonctions de sa charge. Il est écarté du Parlement qui voulant éviter une peine corporelle et infamante à l'un des siens préféra donner une meilleure image de l'autorité judiciaire.
Dans cette affaire, les menaces contre sa famille d'avocats, les pairs sur son ordre ont influencé les juges qui n'ont pas vu en lui un faux monnayeur, lui évitant l'accusation de crime de lèse-majesté donc la pendaison.
Durant les années qui suivirent, J.M de Villespassans, privé des revenus de son office, eut de gros soucis financiers. Il dut revendre sa charge en 1715 à un autre avocat du Parlement qui avait d'ailleurs participé à son jugement. Ruiné, il loue une chambre chez l'habitant à Pézenas. Il meurt à l'âge de 87 ans entouré de ses deux nièces ne leur laissant que des dettes.
Moralité de cette histoire. Les petits ont été jugés avec rigueur alors que les nobles n'ont même pas été réprimés.
" Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir " - Jean de La Fontaine
JC d'Oc 11/2014
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