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Le passage de l'estive en 1948
Alors! Raconte! N° 131
Le passage de l'estive en 1948
Dessine moi un mouton ! J'ai sauté sur mes pieds comme si j'avais été frappé par la foudre. J'ai bien frotté mes yeux. J'ai bien regardé et j'ai vu.....
Comme le Petit Prince de Saint Exupéry,
Nous attendions avec nos yeux d'enfant de 8 ans le passage de près de 500 moutons. C'était lors de la première quinzaine de mai 1948 que les troupeaux passaient dans le village de Cébazan. Ils ne redescendaient qu'au mois d'août pour les jeunes agneaux et fin septembre pour la totalité des troupeaux, car l'agnelage était proche et les brebis n'aiment pas le froid. Il arrive même que des bêtes s'échappent du troupeau et reprennent seules la piste pour revenir au village.
Le printemps était chaud et dans les plaines de l'Ariège pyrénéenne, l'herbe était devenue rare et pour nourrir les brebis, il n'était pas rare que les bergers amènent leurs troupeaux en estive sur le Causse Méjean puis sur le plateau de l'Aubrac et de la Margeride où l'herbe était plus grasse. La draille de la colline de Montmajour , cette piste étroite et caillouteuse était réservée au passage des moutons qui montaient en estive, terme employé dans les Pyrénées. Dans les autres régions, les bêtes montent en alpage.
Les bergers qui guidaient les animaux étaient originaires d'Andorre. Ils devaient suivre un itinéraire précis. Vêtus de pantalons en velours, coiffés de grands chapeaux anticonformistes de feutre noirs, munis de leur bâton de berger dont la poignée était en forme de boule qui servait à tuer les serpents, ils encadraient cette masse mouvante de brebis qui descendaient la colline avec des chiens qui obéissaient au moindre sifflet du maitre. Le tintement des sonnailles des premières brebis annonçait leur arrivée. Passaient d'abord les premiers moutons, les meneurs, qui étaient les plus âgés. Ils reconnaissaient l'itinéraire qu'ils avaient emprunté l'année précédente Quelques ânes portaient le nécessaire de l'intendance.
En ce printemps tardif , le village était en émoi. Habitués depuis l'année 1942 à une telle manifestation, les gens, précautionneux avaient rentré tous les vases de fleurs qui décoraient leur devant de porte. Que faire pour un village de 350 habitants devant le déferlement de 500 animaux qui avalaient sur leur passage tout ce qui était vert. Ripaille appréciée: les géraniums des villageois. Par cette affluence massive d'animaux un bouchon dans la rue principale du village s'était formé et nous qui étions très jeunes, nous nous précipitions vers ces bêtes pour caresser cette fourrure épaisse qui sentait le suint . Nos mains après plusieurs lavages étaient très douces à toucher car elles étaient empreintes de lanoline.
Les pauvres fleurs qui n'avaient pas pu être rentrées étaient une proie facile, mais, consolation les brebis laissaient sur leur passage une couverture de "cagarelles", billes fécales qui activaient la repousse des racines de nos défuntes fleurs. Les chiens s'activaient autour des bêtes. Ces gardiens de troupeaux des "border Collie" avaient un poil long, l'œil toujours en éveil, fidèles à leur maître. Ils obéissaient aux ordres du berger à la patte et à l'œil. Ils comprenaient les gestes de la main que leur maître leur ordonnait de faire et le langage que seuls ils pouvaient interpréter " A stanga" : à gauche , "cultat": avance, "dréapta": à droite " spati": doucement Mais pourquoi un seul des trois chiens obéissaient à l'ordre verbal? Les autres restaient en attente du coup de sifflet qui les concernait. En effet, les chiens avaient été dressé les uns en Espagne et ne comprenait que le catalan, un autre en Provence et ne comprenait que le provençal et le dernier ne comprenait que le français. "chope la ! Nique la ! Couché ! Pas bouger !". Ils ne devaient jamais mordre sans raison ni aboyer. Ces chiens sont très intelligents il faut qu'ils soient juste où il faut et au moment où il faut et surtout très attachés à leur maître. D'ailleurs, le maître le leur rendait bien.
Mais les animaux qui devaient brouter au passage les herbes maigres se régalaient avec les jeunes pousses de pins. Ce fut le début de la déforestation des collines qui bien plus tard ont du être replantées.
De nos jours, les petits troupeaux existants n'estivent plus. Ils sont en train de mourir malgré l'encouragement à produire du lait pour faire le fromage des rois, le roi des fromages: le fameux Roquefort. On regrettera avec nostalgie ce patrimoine vivant. Pour qu'il y ait un réveil, il faudrait faire de grosses unités pastorales et cultiver du fourrage en Languedoc.
Enfin un premier pas vient d'être fait par une convention de désherbage signée sur le bassin versant du Lirou par les villages de Quarante , Creissan, Puisserguier et Cébazan. Depuis novembre 2013, Ricardo et sa femme Celine conduisent leurs 1000 brebis de pâturages en pâturages dehors sur des "hermas" et des terres incultes toute l'année, par tous temps, sans rentrer en bergerie. On dort à la belle étoile et l'on se lève avec le soleil. Ce projet éco-pastoral pourrait s'étendre dans d'autres communes, ce qui permettrait de nettoyer naturellement et gratuitement friches et champs. Des accords de pâture ont été signés avec Murviel les Béziers et le Faugèrois.
Les villages de Vendres, de Fleury et de Lespignan organisent tous les ans fin mai la fête de l'estive. Nous ne pouvons que louer cette belle initiative.JC d'Oc 02/2014.
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